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Axe 5. Sociétés et cultures

Piloté par Émilie Dardenne et Julien Dugnoille

Une grande part des travaux menés par les chercheurs et chercheuses de l’ORCA, de même qu’une partie importante des questions qui se posent sur nos relations avec les autres animaux et sur nos façons de les penser, porte sur des questions sociales et culturelles. Elles sont rassemblées dans cet axe résolument interdisciplinaire, qui analysera les constructions culturelles des autres animaux, les relations anthropozoologiques dans leurs dimensions historiques et sociales, le droit animalier et l’éthique animale générale, ainsi que les mouvements sociaux liés à la montée en puissance de l’animalisme contemporain.

Demande sociétale

Le paysage anthropozoologique n’a jamais été aussi complexe. Outre la diversification du lexique s’y rattachant (voir axe « Représentation »), ou la montée des questionnements sur la gestion des animaux en ville (voire axe « Animaux en milieux urbains »), les tentatives de légiférer sur la corridala régulation de la chasse, le statut des animaux de compagnie, les relations parfois difficiles entre le monde pastoral et la grande faune sauvage, la souffrance des animaux de rente dans le cadre intensif, etc. montrent encore que l’expertise sociale et culturelle est nécessaire pour expliquer, mettre en perspective, documenter les rapports entretenus par la diversité des populations humaines avec les autres animaux. Le réseau thématique ORCA, en tant que groupe officiel, sera un interlocuteur de premier ordre pour les médias, les responsables politiques, les entreprises, le monde associatif sur ces questions qui sont au cœur de nos sociétés contemporaines.

Problématiques de recherche

Cet axe s’intéressera aux mouvements sociaux liés à l’animalisme contemporain : welfarisme, véganisme, antispécisme (Jacquet 2019 ; Sénac 2021). Ces mouvements protéiformes ont beaucoup évolué depuis le début du mouvement contemporain en faveur de la condition animale. Cette émergence se constitue dans le sillage de la publication d’ouvrages séminaux des philosophes Peter Singer et Tom Regan, en 1975 et 19831. Ces mouvements seront probablement amenés à se diversifier encore dans l’avenir, sous la pression des demandes conjointes formulées par le mouvement écologiste et par celles qui émanent du courant animaliste lui-même : renforcement de l’animalisme politique, formes d’expression modérée de plus en plus variées : approches sectorielles et approches généralistes (Espinosa 2021), formes d’expression radicales (Ségal 2020 ; Simoneau-Gilbert 2021.). Cet axe explore bon nombre de questions anthropozoologiques fondamentales : Quelles sont les conditions de possibilité pour l’intégration de revendications antispécistes et/ou d’éthique végane dans nos sociétés ? À quelles conditions le spécisme peut-il être justifié moralement ? Sous quelles formes les revendications d’antispécisme et d’éthique végane sont-elles instrumentalisées par leurs détracteurs ? Quelles sont les synergies entre le spécisme et d’autres formes de discriminations ? Quelles dynamiques de domination et de pouvoir, quels processus de légitimation de la violence permettent-ils la continuation de ces discriminations intersectionnelles ? Les interrogations du grand public, des responsables politiques, des médias, sur ce champ sont nombreuses et récurrentes. L’éclairage des scientifiques de l’ORCA est souvent plébiscité dans ce domaine : il sera utile qu’un réseau thématique identifié puisse être une référence.

Un second objectif s’intéresse à l’éthique animale2. En complément des questionnements moraux soulevés par la relation entre éthique animale et environnementale (axe 1), ceux liés à l’élevage et à l’alimentation (axe 2), et ceux de l’expérimentation animale (axe 3), des enjeux transversaux seront abordés ici : quelles sont les spécificités des différents courants philosophiques qui se sont interrogés sur la condition animale (Dardenne, 2022) ? Quelles pistes définissent-ils pour une évolution positive des rapports que nous entretenons avec les membres des autres espèces (Burgat, 2011, 2018 ; Pelluchon 2018, 2022) ? Quelle place occupent les considérations sur la vie psychique des autres animaux dans les débats publics (Burgat 2023) ? Une approche anthropologique de nos rapports avec les autres animaux montre également que les problèmes éthiques ont une importante dimension culturelle et sociale. Quel est l’impact de la culture sur la manière dont nous construisons les autres animaux et sur le caractère arbitraire de nos procédés de catégorisations ? Bon nombre de constructions culturelles et sociales (par exemple, le concept de ’viande’, de ‘sacrifice’, de ‘progrès’ social ou scientifique) nous permettent de mettre une distance confortable entre la marchandisation ou l’objectivisation des animaux (et souvent leur mise à mort) et la question de leur valeur intrinsèque. Ces questions d’éthique culturelle s’étendent non seulement à la marchandisation des animaux de rente, mais aussi à celle des animaux de compagnie : leur sélection au nom de discours valorisant leur pédigrée ou leur ‘race’, l’impact que leur humanisation peut avoir sur leur bien-être physique et psychique, la manière dont ils bouleversent nos catégorisations culturelles et révèlent le caractère artificiel de ces dernières (on peut mentionner ici le cas spécifique des chiens et des chats en Corée du Sud (Dugnoille 2022)), sont autant de questions fondamentales explorées par les membres de l’axe.

Un troisième objectif rattaché à cet axe aborde la question des relations anthropozoologiques par le versant critique3. C’est un champ particulièrement fécond, dont les ressorts théoriques sont les notions de marginalité et de vulnérabilité animales (Roux-Demare 2019, 2021), l’idéologie de la violence (Bègue-Shankland 2022), la prise en compte du point de vue des subalternes (Harchi 2022), la résistance animale (Dugnoille et Vander Meer 2023), la notion de crise des relations anthropozoologiques (Dardenne, 2021) et la déclinaison du concept d’anthropocentrisme hiérarchique (Kerbrat-Orecchioni 2021). Un des objectifs majeurs de cet axe est donc d’explorer et de questionner les fondements des droits moraux et légaux et d’imaginer leur extension aux animaux non humains : décryptage des évolutions juridiques, réflexions sur le renforcement de la protection pénale des non-humains, réflexions sur l’évolution de leur statut. Cette approche critique met également en exergue le processus d’animalisation comme un processus majeur d’exclusion sociale humaine et non humaine. Réfléchir à l’animalité, c’est poser la question de la légitimité des constructions culturelles et des structures sociales binaires qui régissent beaucoup de nos sociétés naturalistes. Exclure l’Autre des sphères du pouvoir en l’animalisant est un processus qui a permis de garder, entre autres, femmes, ‘étrangers’, minorités raciales, sexuelles, moins valides aux marges de nos sociétés. Cependant, dans bon nombre de communautés, la manière dont l’animalité et le monde non humain sont construits ne mène pas forcément aux mêmes dynamiques de pouvoir et d’exclusion. Ce versant critique pose donc la question de la pluralité ontologique au sens où cette dernière permettrait de repenser la/les domination/s humaine/s à la lumière d’autres cultures et d’autres sociétés.

1 Peter Singer, La libération animale, trad. Louise Rousselle, Paris, Payot & Rivages, 2012 [1975] ; Tom Regan, Les droits des animaux, trad. Enrique Utria, Paris, Hermann, 2013 [1983].

2 Robert Garner, Animals, Politics and Morality, 2e edition, Manchester, Manchester University Press, 2004 ; Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Éthique animale, préface Peter Singer, Paris, Puf, 2008.

3 Nik Taylor et Richard Twine (dir.), The Rise of Critical Animal Studies. From the Margins to the Centre, Londres et New York : Routledge, 2014 ; Anthony J. Nocella II, John Sorensen, Kim Socha, Atsuko Matsuoka, (dir.), Defining Critical Animal Studies. An Intersectional Social Justice Approach for Liberation, New York, Peter Lang, 2014 ; Dawne McCance, Critical Animal Studies. An Introduction, New York, State University of New York Press, 2013.

Publications majeures des membres de l’ORCA sur cette thématique

  • Bègue, L., « Explaining Animal Abuse Among Adolescents: The Role of Speciesism », Journal of Interpersonal Violence, vol. 37, n° 7-8, 2020.
  • Bègue-Shankland, , Face aux animaux. Nos émotions, nos préjugés, nos ambivalences, préface Boris Cyrulnik, Paris, Odile Jacob, 2022.
  • Burgat, F.Une autre existence : la condition animale, Paris, Albin Michel, 2011.
  • Burgat, F., L’humanité carnivore, Paris, Seuil, 2017.
  • Burgat, F.Être le bien d’un autre, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2018.
  • Burgat, F.L’inconscient des animaux. Une lecture freudienne, Paris, Seuil, 2023.
  • Burgat, F.et Dardenne, É. (dir.), La souffrance animale. Éthique et politiques de la condition animale, Londres, Iste, 2023, sous presse ; édition anglaise : Animal Suffering. The Ethics and Politics of Animal Lives, Londres, Wiley, 2023­.
  • Dardenne, É., « L’éthique animale dans la tradition utilitariste », dans Malik Bozzo-Rey, Émilie Dardenne (dir.), Deux siècles d’utilitarisme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 195-210.
  • Dardenne, É., « The Tipping Point? The Covid-19 Crisis, Critical Animal Studies and Academic Responsibility », dans Sylvie Nail et Camille Manfredi (dir.), E-rea numéro spécial « Understanding, Acknowledging, Representing Environmental Emergency », vol. 18, n° 2, 2021. En ligne : https://journals.openedition.org/erea/12283.
  • Dardenne, É.Introduction aux études animales, Paris, Puf, 2022 [2020].
  • Dardenne, É.Considérer les animaux. Une approche zooinclusive, Paris, Puf, 2023.
  • Dugnoille, J.et E. Vander Meer, (dir.), Animals Matter: Resistance and Transformation in Animal Commodification, Brill, 2023.
  • Dugnoille, J. Dogs and Cats in South Korea : Itinerant commodities. West Lafayette, Indiana : Purdue University Press, 2022.
  • Espinosa, R., « Divisés dans l’unité : une discussion empirique de la diversité des stratégies de communication et d’action des organisations de défense des animaux », Traits-d’Union, Presses Sorbonne Nouvelle, 2021.
  • Harchi, K., « Les animaux avec nous, nous avec les animaux », Revue Ballast, 22 mai 2022. En ligne : https://www.revue-ballast.fr/les-animaux-avec-nous-nous-avec-les-animaux/[consulté le 10 décembre 2022].
  • Jaquet, F. (2023). « Against Moorean Defenses of Speciesism », in F. Aguiar, A. Gaitán, & H. Viciana (eds.), Experiments in Moral and Political Philosophy, Routledge.
  • Jaquet, F. (2022). « Speciesism and Tribalism: Embarrassing Origins », Philosophical Studies, 179(3), 933-954.
  • Jaquet, F. (2022). “What’s Wrong with Speciesism”, Journal of Value Inquiry, 56, 395–408.
  • Jaquet, F. (2021). “A Debunking Argument Against Speciesism”, Synthese, 198, 1011-1027.
  • Jaquet, F. (2019). “Is Speciesism Wrong by Definition?”, Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 32(3), 447-458.
  • Kerbrat-Orecchioni, C.Nous et les autres animaux, Paris, Labyrinthes, 2021.
  • Nayak, L., « Une ethnographie de refuges antispécistes pour animaux « de ferme » : la construction sociale des animaux en tant que personnes », à paraître.
  • Pelluchon, C.Manifeste animaliste, Paris, Alma, 2017.
  • Pelluchon, C.Éthique de la considération, Paris, Seuil, 2018.
  • Pelluchon, C.L’espérance, ou la traversée de l’impossible, Paris, Rivages, 2022.
  • Roux-Demare, F.-X., “La notion de vulnérabilité, approche juridique d’un concept polymorphe”, Dalloz, « Les Cahiers de la Justice », vol. 4, n° 4, 2019, p. 619-630.
  • Roux-Demare, F.-X.(dir.), Animal et santé, Paris, Mare et Martin, 2021.
  • Ségal, J.Animal radical, Paris, Lux, 2020.
  • Sénac, R.Radicales et fluides, les mobilisations contemporaines, Paris, Presses de Sciences Po., 2021.
  • Simoneau-Gilbert, V. et A. Renard, Que veulent les véganes ? La cause animale de Platon au mouvement antispéciste, Fides, 2021.
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