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Axe 1. Animaux sauvages

Piloté par Raphaël Mathevet et Élise Huchard

Les relations entre les humains et les autres animaux ont débuté à travers le partage d’un écosystème commun, dans un environnement dominé par la nature sauvage. Les premiers chasseurs-cueilleurs cherchaient avant tout à chasser et à se protéger de leurs prédateurs et parasites. Si la chasse et les conflits humains-faune sauvage existent encore, le paysage des relations entre humains et animaux sauvages a considérablement changé à l’ère de l’anthropocène, qui a confiné la nature sauvage à quelques espaces au périmètre limité. Ce nouvel ordre des choses confère aux humains contemporains un rôle d’exterminateur à grande échelle, à l’origine de la sixième crise d’extinction des espèces, dont la rapidité semble sans commune mesure avec les précédentes. Ainsi, le Rapport Planète Vivante 2022 du WWF révèle une chute moyenne de 69 % des populations de faune vertébrée surveillées entre 1970 et 2018. En retour, cette crise de la biodiversité place les humains face à leurs responsabilités, leur imposant, pour la première fois, un devoir de gestion des derniers espaces naturels et de leurs habitants, rôle éminemment complexe aux enjeux démesurés, auquel ils sont mal préparés.

Demande sociétale

Face à la pression sociétale, les décideurs tentent de proposer des solutions, comme en témoigne l’accord récent signé par 130 pays à l’issue de la COP15 en Décembre 2022.  Néanmoins, c’est l’ensemble de nos rapports au monde vivant qu’il faut repenser. La complexité des enjeux impose un traitement interdisciplinaire des questions soulevées, et leur transversalité convoque de très nombreuses disciplines. L’écologie, la conservation et la géographie font l’état des lieux de la crise, en informent les mécanismes et tentent de prédire les futurs possibles. Il appartient à l’ensemble des sciences humaines d’interroger et de repenser nos rapports au monde vivant, et à l’économie, au droit et à la politique de tracer les contours concrets de modèles sociétaux alternatifs. Si les animaux sauvages terrestres représentent aujourd’hui une partie infime de tous les animaux peuplant la planète (Figure 1), les questions relatives à nos rapports aux animaux sauvages sont néanmoins décisives, tant par l’importance pratique que symbolique de l’enjeu. Il s’agit tout d’abord de préserver les derniers écosystèmes fonctionnels pour assurer l’avenir de notre planète commune, dont dépend notre avenir.

Alors que l’approche OneHealth souligne l’interdépendence de la santé humaine, animale et environnementale, un rapport de l’IPBES datant de Juin 2022 montre que des milliards d’êtres humains dépendent directement, à travers leur nourriture et revenu quotidien, de la diversité des espèces et de la démographie des populations d’animaux sauvages qui peuplent leur environnement. Mais il s’agit également de sauver les derniers représentants d’espèces charismatiques qui ont peuplé la planète à nos côtés, façonnant ainsi nos représentations, et qui à ce titre forment notre patrimoine naturel autant que culturel. Si cette demande sociétale se décline à une échelle mondiale dans le contexte de vastes accords géopolitiques tels que la COP15, elle se fait également plus pressante à une échelle beaucoup plus locale. Par exemple, celle-ci se traduit en ce moment en France par de fortes tensions liées à l’utilisation des espaces naturels et des animaux de la faune sauvage, notamment dans le contexte de la pratique de la chasse. Ainsi, selon un sondage IPSOS datant d’Octobre 2022, les Français sont majoritairement, et de plus en plus, opposés à la chasse (51 %), et très favorables à ce que la chasse soit plus strictement encadrée (60 %).

Figure 1. L’évolution de la biomasse relative, en millions de tonnes, des animaux terrestres sauvages (gris), domestiques (rouge) et des humains (noir) entre 10000 ans avant JC et 2015. Figure issue de Carlier & Treich, 2020.

Problématiques de recherche

Un axe de travail central pour les membres de l’ORCA consiste donc à contribuer à cette vaste réflexion quant à la place présente et future des humains dans la nature. Se posent de nombreuses questions sur l’identification de conditions qui peuvent favoriser la cohabitation pacifique entre humains et animaux sauvages, dans des contextes et à des échelles multiples. Certains travaux des membres de l’ORCA s’inscrivent dans cette réflexion, en passant par la documentation de l’évolution des représentations et des connaissances liées aux animaux sauvages, ou encore en cherchant à comprendre les causes de ces évolutions et leurs conséquences pour le bien-être des animaux sauvages.

Le premier objectif du réseau consiste ainsi tout d’abord à effectuer une veille commune sur les développements académiques autour de ces questions, et à y contribuer à travers la mise en commun des expertises disponibles dans le groupe.

Un deuxième axe visera plus spécifiquement à développer une réflexion interdisciplinaire quant aux convergences et points de tension entre systèmes de valeurs environnementalistes et animalistes, tant sur le plan philosophique que politique, mais aussi dans la mise en œuvre des politiques de gestion de la faune sauvage, comme les programmes de conservation ou les plans de ré-ensauvagement. En effet, la question de la condition des animaux sauvages se situe à l’interface de ces deux systèmes de connaissances et de valeurs, générant régulièrement des points de tension dans le développement des réflexions mais aussi des protocoles liés au bien-être des animaux sauvages. Si ces systèmes de valeur convergent dans leur rejet commun de l’anthropocentrisme et leurs attentes concernant la préservation de la faune sauvage, ils s’affrontent sur nombre de questions, notamment du fait de leur focus distinct sur les populations versus les individus, respectivement1. Par exemple, peut-on générer de la souffrance animale, à l’échelle des individus, pour préserver un écosystème en danger ou restaurer un écosystème disparu ? Dans quels cas doit-on intervenir pour soulager les animaux sauvages en détresse, et une telle dimension doit-elle être intégrée aux programmes de conservation ? Faut-il opposer la protection des individus et des populations ? Des débats animés ont agité le monde de la conservation suite à la proposition récente de la conservation compassionnelle  qui incite à une meilleure prise  du bien-être des individus dans le déploiement des politiques de conservation2, attestant ainsi du besoin de développer les réflexions théoriques et pratiques sur ce sujet.

Un troisième axe visera à éclairer les débats publics sur des enjeux plus circonscrits et plus locaux grâce à une mise en commun des expertises des membres de l’ORCA, qui sera ensuite restituée de façon synthétique pour le grand public. Par exemple, les animaux sauvages non captifs sont les seuls à ne bénéficier d’aucune protection juridique à l’échelle individuelle dans le droit français en 2022, en dépit de la reconnaissance récente de la sensibilité des animaux par la révision de l’article 515-14 du code civil votée en 2015. Ce paradoxe législatif pose des questions à l’interface de plusieurs disciplines telles que : ‘Sur quelles bases scientifiques, philosophiques ou culturelles une espèce peut-elle être classée comme nuisible par la réglementation ?’ ; ‘Quels sont les freins d’ordre politique, éthique ou juridique à l’évolution de notre législation sur la question de la protection individuelle des animaux sauvages ?’. La pluralité d’expertises et de cultures disciplinaires des membres de l’ORCA représente un atout majeur pour apporter un éclairage académique sur de telles questions.

 1 Ramp D & Bekoff M, Compassion as a practical and evolved ethic for conservation. Bioscience 65: 323-327, 2015.

 2 Hayward MW, Callen A, Allen BL, et al. Deconstructing compassionate conservation. Conservation Biology 33: 760-768, 2019.Coghlan S, Cardilini APA, A critical review of the compassionate conservation debate. Conservation Biology 36: e13760, 2021. ; Hayward MW, Callen A, Allen BL, et al. Deconstructing compassionate conservation. Conservation Biology 33: 760-768, 2019.

Travaux des membres de l’ORCA sur cette thématique

  • Destoumieux-Garzón D, Mavingui P, Boetsch G, Boissier J, Darriet F, Duboz P, Fritsch C, Giraudoux P, Le Roux F, Morand S, Paillard C, Pontier D, Sueur C, Voituron Y. The One Health Concept: 10 Years Old and a Long Road Ahead. Front Vet Sci. 2018 Feb 12;5:14.
  • Maris V & Huchard E, Interventionnisme et faune sauvage. 2018. Les ateliers de l’éthique 13: 115-142, 2018.
  • Carlier A & Treich N, Directly valuing animal welfare in (environmental) economics. International Review of Environmental and Resource Economics 14: 113-152.
  • Webb C, Woodford P & Huchard E, Animal ethics and behavioral sciences: an overdue discussion? Bioscience 69: 778-788, 2019.
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