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Axe 3. Animaux dans l’expérimentation

Piloté par Cédric Sueur et Athanassia Sotiropoulos

L’expérimentation animale fait l’objet de nombreux et constants débats dans les sphères publiques et scientifiques. Par exemple, le 7 septembre 2016, 21 personnalités dont Jane Goodall et Sir David Attenborough signaient une lettre publiée dans le journal L’Independent intitulée « Les essais sur primates en neurosciences ne sont plus justifiables ». Une semaine plus tard, 400 chercheurs dont deux prix Nobel y répondaient dans The Guardian par une lettre intitulée « La recherche sur les primates est cruciale pour découvrir des traitements pour les maladies comme Parkinson ». Depuis, de nombreux échanges ont lieu entre les partisans et les détracteurs de l’expérimentation animale par le biais d’articles ou de tribunes. Récemment en France, nous avons assisté à des débats sur le transport des macaques par Air France ou encore des discussions autour de l’expérimentation et la mise à mort d’hamsters dans le cadre d’un cursus universitaire.

Introduction

La recherche animale s’est avérée utile pour l’humain ou l’animal, mais sa pertinence est aujourd’hui discutée. En particulier, l’utilisation du modèle primate non humain dans la recherche a joué un rôle clé dans de nombreuses avancées médicales liées, entre autres, à la lutte contre le cancer, la lèpre, le VIH, la maladie de Parkinson, l’hépatite, etc. La communauté scientifique justifie son travail sur ce modèle en privilégiant des méthodes permettant de diminuer le nombre d’animaux utilisés et leur souffrance (principe des 3Rs de Russell et Burch, 1959). Pourtant, de plus en plus de scientifiques expriment des réserves croissantes quant à l’utilisation des animaux et en particulier des primates non humains dans la recherche biomédicale, comme en atteste la récente fracture idéologique concernant l’expérimentation biomédicale sur les singes lors du dernier Congrès International de Primatologie (ASAP & IPS 2016) à Chicago en août 2016. Une des premières raisons à cette fracture est que de nombreux résultats trouvés sur les animaux ne seraient pas directement transposables à l’être humain. La seconde raison est directement liée aux souffrances psychologiques et physiques que subiraient les animaux et qui ne sauraient justifier aucun résultat scientifique ou médical. Même pour certains chercheurs, l’application des 3Rs – remplacer, réduire, raffiner – doit être repensée.

Demande sociétale

Les débats scientifiques et éthiques autour de l’expérimentation animale se retrouvent également dans la société. Une large majorité des Français (76%) souhaiteraient en effet une interdiction du recours à l’expérimentation animale dans un délai de 10 ans. Si d’un point de vue scientifique cet objectif nous paraît inatteignable, il reflète néanmoins une forte attente de développer les méthodes alternatives et d’interdire le recours au modèle animal quand ces alternatives existent. En effet, 90% des Français souhaitent une interdiction totale de toute expérimentation animale lorsqu’il est démontré que des méthodes substitutives peuvent être utilisées à la place et 70% des Français souhaitent un financement des pouvoirs publics pour le développement de ces méthodes alternatives. En 2021, le Parlement européen votait ainsi une résolution, adoptée à 667 pour, 4 contre et 0 abstention, demandant un plan d’investissement visant à accélérer la transition vers un système de recherche sans expérimentation animale.

Problématiques de recherche

Le réseau thématique ORCA a pour vocation de contribuer aux réflexions actuelles autour de l’expérimentation animale par une approche interdisciplinaire.

Le premier objectif consiste à documenter la condition des animaux dans la recherche et les protocoles appliqués à ces derniers. Malgré la réglementation exigeant la publication de ces données, ces dernières sont très peu accessibles. De nouvelles instances tel que le centre français des 3Rs (FC3R) tendent à favoriser la publication des résultats et des méthodes utilisées dans la recherche, mais le public de même que de nombreuses associations se plaignent de l’opacité de la recherche animale en France. Il s’agit aussi de documenter les instances évaluant les protocoles de chercheurs, c’est-à-dire les comités d’éthique, car il s’avère qu’il y aurait dans ces derniers un manque d’évaluateurs qualifiés sur les méthodes alternatives et substitutives, empêchant ainsi une diminution du nombre d’animaux utilisés dans la recherche. Ces données permettront de mieux comprendre les verrous faisant obstacle à la mise en place d’alternatives à la recherche animale et ainsi réfléchir à l’amélioration de la condition animale dans l’expérimentation.

Le deuxième objectif est avant tout sociologique et consiste à comprendre les débats qui existent aujourd’hui dans la société civile et la société scientifique autour de l’expérimentation animale. Le discours est très souvent fermé entre les associations de protection animale et les scientifiques pratiquant l’expérimentation animale mais nous remarquons aussi aujourd’hui des tensions au sein même de la communauté scientifique avec un important manque de compréhension entre les chercheurs pratiquant encore certaines recherches et d’autres tendant à changer leurs pratiques. Quels facteurs, et quelles lignes argumentaires, contribuent à ce que certains scientifiques prennent davantage en compte le bien-être des animaux et modifient leurs pratiques ? Considérant les changements sociétaux et politiques sur ce sujet, comprendre ces facteurs est important pour orienter la formation des chercheurs vers des objectifs et des méthodes de recherche durables, mais aussi pour rétablir un dialogue constructif et dépassionné entre parties sur la base d’éléments fiables et documentés.

Le troisième objectif vise à discuter des pistes d’amélioration du bien-être animal dans l’expérimentation animale et rejoint directement la formation des chercheurs discutée dans l’objectif précédent. Les 3Rs (Remplacer, Réduire et Raffiner) sont aujourd’hui remis en question par la société et même par certains chercheurs étant donné que le nombre d’animaux dans la recherche ne diminue pas. Il est donc important de changer de paradigme et surtout de repenser la relation du chercheur avec l’animal. Il ne s’agit plus de travailler sur l’animal mais bien avec lui, et cette perspective de recherche peut être appliquée à chacun des 3Rs. Il y a dix ans encore, des sujets en éthologie comme la personnalité animale et l’utilisation de tablettes tactiles ou de joysticks pour les animaux semblaient ridicules auprès de certains scientifiques. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et cette ingénierie éthologique abordant surtout les notions d’individualisme, de perspectivisme ou d’agentivité animale ne doit plus être simplement appliquée en éthologie mais bien dans tous les domaines de la recherche animale. Ces notions souvent interdisciplinaires, entre éthologie, philosophie et psychologie comparée, sont au cœur des thématiques de travail de plusieurs membres du réseau ORCA qui sont régulièrement sollicités par les pouvoirs publics. Une meilleure structuration de ce réseau conduira donc à une avancée majeure dans les réflexions interdisciplinaires autour de la recherche animale.

Travaux des membres de l’ORCA sur cette thématique

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