
Axe 4 : Transversal. Langage, société, éthique et culture : comment pense-t-on et comment représente-t-on les autres animaux ?
Introduction. Au-delà des catégorisations liées aux lieux de vie (animaux sauvages et domestiqués, animaux des villes) et de celles qui ont à voir avec des types d’utilisation (animaux de rente et d’expérimentation), une grande part des travaux menés par les chercheurs et chercheuses de l’ORCA, de même qu’une partie importante des questions qui se posent sur nos relations avec les autres animaux et sur nos façons de les penser, porte sur des questions transversales. Elles sont rassemblées dans cet axe résolument interdisciplinaire, qui analysera les représentations culturelles des autres animaux, les relations anthropozoologiques dans leurs dimensions historiques et contemporaines, le droit animalier et l’éthique animale générale, ainsi que les mouvements sociaux liés à la montée en puissance de l’animalisme contemporain.
Demande sociétale. Le paysage anthropozoologique n’a jamais été aussi complexe. La diversification du lexique s’y rattachant l’illustre bien : antispécisme, animaux liminaires, véganisme, sentience, animalisme, biophilie, thériocide, zoocentrisme, etc., on voit de nouveaux termes venir enrichir le vocabulaire des relations que nous entretenons avec les membres d’autres espèces animales. La montée des questionnements sur la gestion des animaux en ville, les tentatives de légiférer sur la corrida, la régulation de la chasse, le statut des animaux de compagnie, les relations parfois difficiles entre le monde pastoral et la grande faune sauvage, la souffrance des animaux de rente dans le cadre intensif, etc. montrent encore que l’expertise scientifique est nécessaire pour expliquer, mettre en perspective, documenter les rapports entretenus par les sociétés contemporaines avec les autres animaux. Le réseau thématique ORCA, en tant que groupe officiel, sera un interlocuteur de premier ordre pour les médias, les responsables politiques, les entreprises, le monde associatif sur ces questions.
Problématiques de recherche. Cet axe s’intéressera aux mouvements sociaux liés à l’animalisme contemporain : welfarisme, véganisme, antispécisme (Sénac). Ces mouvements protéiformes ont beaucoup évolué depuis le début du mouvement contemporain en faveur de la condition animale. Cette émergence se constitue dans le sillage de la publication de l’ouvrage séminal des philosophes Peter Singer et Tom Regan, en 1975 et 19831. Ces mouvements seront probablement amenés à se diversifier encore dans l’avenir, sous la pression des demandes conjointes formulées par le mouvement écologiste et par celles qui émanent du courant animaliste lui-même : renforcement de l’animalisme politique, formes d’expression modérée de plus en plus variées : approches sectorielles et approches généralistes (Espinosa), formes d’expression radicales (Ségal). Les interrogations du grand public, des responsables politiques, des médias, sur ce champ sont nombreuses et récurrentes. L’éclairage des scientifiques de l’ORCA est souvent plébiscité dans ce domaine : il sera utile qu’un réseau thématique identifié puisse être une référence.
On étudiera dans un second objectif les dimensions culturelles et linguistiques de la représentation des non-humains. La sémiotique y joue un rôle important. On y analyse le lexique lié à l’animalité (Marsolier, Kerbrat-Orecchioni) : qu’est-ce que le bien-être animal, comme sa définition a-t-elle évolué ? Qu’est-ce même qu’un animal ? Que nous dit la biologie sur ce terme, et que nous dit le langage courant ? Que nous dit notre langage de notre relation aux autres vivants de façon plus large ?
Un troisième objectif s’intéresse à l’éthique animale2. En complément des questionnements moraux soulevés par la relation entre éthique animale et environnementale (axe 1), ceux liés à l’élevage et à l’alimentation (axe 2), et ceux de l’expérimentation animale (axe 3), des enjeux transversaux seront abordés ici : quelles sont les spécificités des différents courants philosophiques qui se sont interrogés sur la condition animale (Dardenne, 2022) ? Quelles pistes définissent-ils pour une évolution positive des rapports que nous entretenons avec les membres des autres espèces (Burgat, 2011, 2018 ; Pelluchon) ?
Un quatrième objectif rattaché à cet axe aborde la question des relations anthropozoologiques par le versant critique3. C’est un champ particulièrement fécond, dont les ressorts théoriques sont les notions de marginalité et de vulnérabilité animales (Roux-Demare), celle de domination humaine, le paradigme de la violence (Bègue-Shankland), la prise en compte du point de vue des subalternes (Harchi), la résistance animale (Dugnoille et Vander Meer), la notion de crise des relations anthropozoologiques (Dardenne, 2021) et la déclinaison du concept d’anthropocentrisme hiérarchique (Kerbrat-Orecchioni). Les disciplines sont le droit, la philosophie, la sociologie critique, les sciences politiques, ainsi que les disciplines artistiques et littéraires (Milcent-Lawson, Huchard). On y retrouve la notion de “point de vue animal”, étudiée depuis la perspective narratologique.
1 Peter Singer, La libération animale, trad. Louise Rousselle, Paris, Payot & Rivages, 2012 [1975] ; Tom Regan, Les droits des animaux, trad. Enrique Utria, Paris, Hermann, 2013 [1983].
2 Robert Garner, Animals, Politics and Morality, 2e edition, Manchester, Manchester University Press, 2004 ; Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Éthique animale, préface Peter Singer, Paris, Puf, 2008.
3 Nik Taylor et Richard Twine (dir.), The Rise of Critical Animal Studies. From the Margins to the Centre, Londres et New York : Routledge, 2014 ; Anthony J. Nocella II, John Sorensen, Kim Socha, Atsuko Matsuoka, (dir.), Defining Critical Animal Studies. An Intersectional Social Justice Approach for Liberation, New York, Peter Lang, 2014 ; Dawne McCance, Critical Animal Studies. An Introduction, New York, State University of New York Press, 2013.
Publications majeures des membres de l’ORCA dans cet axe :
- Bègue, L., « Explaining Animal Abuse Among Adolescents: The Role of Speciesism », Journal of Interpersonal Violence, vol. 37, n° 7-8, 2020.
- Bègue-Shankland, L., Face aux animaux. Nos émotions, nos préjugés, nos ambivalences, préface Boris Cyrulnik, Paris, Odile Jacob, 2022.
- Burgat, F., Une autre existence : la condition animale, Paris, Albin Michel, 2011.
- Burgat, F., L’humanité carnivore, Paris, Seuil, 2017.
- Burgat, F., Être le bien d’un autre, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2018.
- Burgat, F., L’inconscient des animaux. Une lecture freudienne, Paris, Seuil, 2023.
- Burgat, F. et Dardenne, É. (dir.), La souffrance animale. Éthique et politiques de la condition animale, Londres, Iste, 2023, sous presse ; édition anglaise : Animal Suffering. The Ethics and Politics of Animal Lives, Londres, Wiley, 2023.
- Dardenne, É., « L’éthique animale dans la tradition utilitariste », dans Malik Bozzo-Rey, Émilie Dardenne (dir.), Deux siècles d’utilitarisme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 195-210.
- Dardenne, É., « The Tipping Point? The Covid-19 Crisis, Critical Animal Studies and Academic Responsibility », dans Sylvie Nail et Camille Manfredi (dir.), E-rea numéro spécial « Understanding, Acknowledging, Representing Environmental Emergency », vol. 18, n° 2, 2021. En ligne : https://journals.openedition.org/erea/12283.
- Dardenne, É., Introduction aux études animales, Paris, Puf, 2022 [2020].
- Dardenne, É., Considérer les animaux. Une approche zooinclusive, Paris, Puf, 2023.
- Dugnoille, J. et E. Vander Meer, (dir.), Animals Matter: Resistance and Transformation in Animal Commodification, Brill, 2022.
- Espinosa, R., « Divisés dans l’unité : une discussion empirique de la diversité des stratégies de communication et d’action des organisations de défense des animaux », Traits-d’Union, Presses Sorbonne Nouvelle, 2021.
- Harchi, K., « Les animaux avec nous, nous avec les animaux », Revue Ballast, 22 mai 2022. En ligne : https://www.revue-ballast.fr/les-animaux-avec-nous-nous-avec-les-animaux/ [consulté le 10 décembre 2022].
- Huchard, C., « Figure animale et dissidence : quelques usages de l’altérité », Les Dossiers du Grihl, 2013.
- Jaquet, F. (2023). “Against Moorean Defenses of Speciesism”, in F. Aguiar, A. Gaitán, & H. Viciana (eds.), Experiments in Moral and Political Philosophy, Routledge.
- Jaquet, F. (2022). “Speciesism and Tribalism: Embarrassing Origins”, Philosophical Studies, 179(3), 933-954.
- Jaquet, F. (2022). “What’s Wrong with Speciesism”, Journal of Value Inquiry, 56, 395–408.
- Jaquet, F. (2021). “A Debunking Argument Against Speciesism”, Synthese, 198, 1011-1027.
- Jaquet, F. (2019). “Is Speciesism Wrong by Definition?”, Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 32(3), 447-458.
- Kerbrat-Orecchioni, C., Nous et les autres animaux, Paris, Labyrinthes, 2021.
- Marsolier, M.-C., Le mépris des “bêtes”. Un lexique de la ségrégation animale, Paris, Puf, 2020.
- Milcent-Lawson, S. « Un tournant animal dans la fiction française contemporaine ? », Pratiques, p. 181-182, 2019.
- Milcent-Lawson, S., “Zoographies. Traitements linguistique et stylistique du point de vue animal en régime fictionnel”, Revue des Sciences Humaines, 2017, 328, p. 91-106.
- Nayak, L., « Une ethnographie de refuges antispécistes pour animaux « de ferme » : la construction sociale des animaux en tant que personnes », à paraître.
- Pelluchon, C., Manifeste animaliste, Paris, Alma, 2017.
- Pelluchon, C., Éthique de la considération, Paris, Seuil, 2018.
- Pelluchon, C., L’espérance, ou la traversée de l’impossible, Paris, Rivages, 2022.
- Roux-Demare, F.-X., “La notion de vulnérabilité, approche juridique d’un concept polymorphe”, Dalloz, « Les Cahiers de la Justice », vol. 4, n° 4, 2019, p. 619-630.
- Roux-Demare, F.-X. (dir.), Animal et santé, Paris, Mare et Martin, 2021.
- Ségal, J., Animal radical, Paris, Lux, 2020.
- Sénac, R., Radicales et fluides, les mobilisations contemporaines, Paris, Presses de Sciences Po., 2021.